Axa et Chaucer créent une coentreprise spécialisée dans l’assurance de spécialités en Afrique. Quel apport réel pour le continent ?
Les groupes d’assurance Axa (français), numéro deux de l’assurance en Europe derrière l’allemand Allianz et le britannique Chaucer, un syndicat important des Lloyd’s, ont créé une coentreprise dédiée à la couverture des risques de spécialités en Afrique, qui a été lancée le 27 juin à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
La nouvelle entité se nomme Axa Africa Speciality Risks (Axa ASR). Elle proposera des polices très spécifiques permettant d’assurer les entreprises contre des risques peu standardisés comme les attentats terroristes, l’instabilité politique, les plateformes pétrolières, les projets d’infrastructures, les jets privés et autres, selon Julie Dubuisson, directrice du développement commercial d’Axa ASR en Afrique de l’Ouest, rapporté par plusieurs médias dont l’agence Ecofin.
La nouvelle entité sera membre du réseau Lloyd’s, un marché d’assurance londonien dans lequel des assureurs se réunissent pour couvrir ensemble les risques.
Axa et son homologue britannique Chaucer, avaient annoncé s’être entendus le 19 avril sur la création d’une coentreprise destinée au marché de l’assurance de spécialités en Afrique. Celle-ci devait s’occuper de la branche de couverture des risques de spécialité ou très spécifiques sur ce continent, notamment ceux liés à la politique, à l’énergie et aux infrastructures.
Les deux entités se complètent fortement dans la réalisation de ces missions, car ce sont des spécialités où AXA n’a pas toute l’expertise technique requise, selon Denis Duverne, directeur général délégué d’Axa, rapporté par Reuters suite à une interview. Le groupe AXA a de fortes compétences dans le marketing, possède un vaste réseau de distribution et a une forte notoriété en vertu de sa longue expérience dans le secteur de l’assurance. Le classement Interbrand classe la marque d’assurance à la première place mondiale.
Chaucer a plutôt une grande expertise dans l’assurance de spécialités, domaine dans lequel les deux groupes s’allient pour s’attaquer au marché africain. Il a aussi une expertise avérée de souscription dans le cadre du marché Lloyd’s, une grande expérience de la gestion du type de l’accord signé et des bonnes relations avec sa clientèle constituée d’entreprises ou de banques. C’est un acteur qui occupe une place de choix sur le marché Lloyd’s de Londres.
La nouvelle entité va mettre en place dans une première phase un syndicat d’assurance ad hoc (Syndicate 6130) qui aura pour mission de partager les contrats signés avec le syndicat d’assurance (Syndicate 1084) déjà en place, propriété du groupe Chaucer, pour permettre à AXA de devenir un des membres du Lloyd’s of London. Le Lloyd’s of London est un type de marché (sous forme de bourse) d’assurance britannique créé en 1688 qui permet aux assureurs (membres (personnes physiques ou personnes morales)) de se réunir, afin d’assurer ensemble les risques.
Le groupe Axa s’implante fortement et durablement en Afrique.
Le groupe AXA est déjà présent dans 8 pays africains, ayant fait des acquisitions dans plusieurs pays ces dernières années. Il a établi des filiales en Algérie à partir de fin 2011, au Maroc (n°3 en assurance Dommages, n°5 en assurance Vie, Épargne, Retraite), au Sénégal, en Côte d’Ivoire (n°4 en assurance Dommages), au Gabon (n°5 en assurance Dommages), au Sénégal (n°1 en assurance Dommages) et au Cameroun.
AXA assurances Cameroun SA par exemple évolue dans la branche dommages représentant 72,5% du marché camerounais de l’assurance. Au Cameroun le groupe français est n°4 en assurance Dommages. En Algérie, il est n°11 en assurance Dommages, n°3 en assurance Vie, Épargne, Retraite. Le groupe a délaissé le marché sud-africain jugé trop encombré, trop mature et à coûts d’entrée trop élevés et exclut de prendre en charge dans le cadre du partenariat avec chaucer le risque de kidnapping.
Il a demandé à la Conférence inter-africaine des marchés d’assurance (CIMA) un agrément supplémentaire qui lui a été accordé, pour lui permettre de proposer des produits de micro-assurance sur les accidents corporels, la maladie et les dommages aux biens. AXA assurances Cameroun vise à accroître très rapidement son chiffre d’affaires qui peut représenter un certain nombre de fois le chiffre d’affaires actuel des compagnies d’assurances.
Le marché visé est celui dit des produits soi-disant adaptés et « moins onéreux », pouvant être « accessibles » à des personnes à revenus modestes. Dans le segment accidents corporels et maladie, la filiale camerounaise d’AXA pourrait réaliser un chiffre d’affaires pouvant atteindre 5 milliards de francs CFA dont la part représente approximativement 23,5 % du marché de l’assurance, soit près de 30 milliards de francs CFA, selon l’Association des sociétés d’assurances du Cameroun (ASAC, constituée de vingt-deux membres).
Le 8 décembre 2014, il a pris le contrôle de la compagnie nigériane Assur Africa Holdings, actionnaire principal à 77% de Mansard Insurance, occupant le rang numéro 4 de l’assurance au Nigeria (pays le plus peuplé d’Afrique, avec 177 155 754 habitants en 2014) pour 198 millions d’euros. AXA est n°3 en assurance Dommages, n°6 en Vie, Épargne, Retraite.
Ensuite il est entré dans le capital du réassureur African Reinsurance Corporation ou Africa Re (principal assureur africain) en avril 2015, en prenant 7% du capital. Il a aussi racheté la totalité du capital de la compagnie égyptienne Commercial International Life Insurance Company (CIL), leader de l’assurance vie en Égypte et numéro trois du marché de l’assurance. AXA est n°4 en assurance Vie, Épargne, Retraite. La population égyptienne est de 90 millions d’habitants.
AXA est aussi entré dans le capital d’Africa Internet Group (AIG), leader africain du commerce en ligne comme l’américain Amazon, une filiale africaine de Rocket Capital et de l’opérateur télécoms NTM, ayant investi 75 millions d’euros pour cette opération. Il a également profité de nouer un partenariat commercial en Février 2016 qui lui a octroyé l’exclusivité de fournisseur de produits et services d’assurance pour toutes les plates-formes d’AIG, notamment sur la plateforme Jumia, propriété d’Africa Internet Group. En Afrique le groupe a donc décidé de diversifier ses investissements dans plusieurs secteurs d’activité. Son chiffre d’affaires en 2015 était de 98,53 milliards d’euros.
Quels sont les véritables objectifs poursuivis par ces groupes et leurs véritables motivations ? Qu’est-ce qui orientent leurs décisions et le choix des branches ?
Il faut savoir que les taux d’intérêt sont historiquement bas, ce qui impacte négativement la rentabilité des portefeuilles des assureurs sur leurs marchés traditionnels. L’objectif d’AXA est de faire progresser son résultat opérationnel par action, de 3% à 7% en moyenne chaque année, à l’horizon 2020, contre une hausse de 7% en moyenne par an entre 2011 et 2015. La baisse drastique des taux a poussé le groupe à réduire la voilure de ses objectifs de croissance, dans le cadre de son plan stratégique.
Entre janvier et juin 2016, l’action du groupe Axa a perdu environ 19% de sa valeur, contre un gain de 31,37% en 2015. Eu égard à ces difficultés, le groupe compte réduire ses effectifs, en particulier une moyenne de 1% à 2% en Europe par an, en privilégiant les départs naturels dus à l’âge de la retraite et recruter ce que le groupe définit comme des profils adaptés à son plan de transformation, particulièrement dans le digital. Le groupe a donc décidé dans son plan Ambitions 2011 de changer de cap et d’accélérer son déploiement dans les pays émergents.
Le groupe AXA envisage de céder le reste de ses activités basées en Grande-Bretagne, notamment la « prévoyance en direct, la gestion de patrimoine traditionnelle (hors plateforme) et l’épargne retraite », sur le segment vie, épargne et retraite dont la valeur serait estimée à perte à 830 millions d’euros, à l’exclusion des assurances dommages, santé et gestion d’actifs. Le groupe compte aussi vendre deux immeubles en sa possession aux États-Unis.
Le groupe envisage également d’arrêter les investissements dans les industries du tabac et va réduire progressivement le nombre d’obligations de ces sociétés dans son portefeuille. Le but selon les dirigeants, est de « soutenir les efforts des gouvernements » pour réduire la consommation du tabac. Le coût supporté par les assurances pour soigner les cancers du poumon n’ont-ils pas aussi été dissuasifs ?
Il avait déjà auparavant réduit ses investissements dans le secteur du charbon pour un montant avoisinant les 500 millions d’euros.
En France, début 2012, l’agence de notation Moody’s avait revu sa note sur la perspective de l’assurance dommages. Elle était passée de stable à négative. Les catastrophes naturelles vont peser plus lourdement dans le compte des assureurs sur la période 2014-2039, à hauteur de 92 milliards d’euros, contre 48 milliards d’euros d’indemnités versés entre 1988 et 2013, selon l’Agence française des assurances (AFA).
Le groupe a prévu de budgétiser un milliard d’euros en moyenne par an pour réaliser un ensemble d’acquisitions à la fois sur ses principaux marchés et dans les pays dits de croissance, notamment dans les branches de l’assurance vie, l’épargne, la santé, le dommage, les assurances nommées « affinitaires » comme les réfrigérateurs ou les ordinateurs vendus en ligne et l’assistance des populations pauvres des pays émergents (Inde, Afrique, Moyen-Orient), un marché évalué à entre 30 et 50 milliards de dollars, pour une population totale de 4 milliards d’âmes. Le groupe compte attaquer le marché asiatique d’ici 2030, avec un objectif d’une part de marché atteignant 100 millions de clients, contre 14 millions actuellement.
Les pays africains sont donc une des zones visées au regard de l’évolution positive de leurs taux de croissance et leurs potentialités en matières premières, malgré un nombre impressionnant de populations démunies. Comment ces populations pauvres vont-elles sortir de leurs conditions avec ces services à l’occidental qui n’ont pas fait leurs preuves dans leurs propres banlieues ghettoïsées ? Les investisseurs étrangers comptent néanmoins sur l’émergence d’une certaine classe moyenne capable de consommer les produits bancarisés et d’adopter de « nouveaux modes de consommation », avec une folle envie d’acquérir ces produits (téléphones mobiles par exemple).
Ceux-ci vont-ils investir dans des secteurs à fort potentiel de recrutement comme l’industrie ? Les autorités de ces pays permettront-elles aux acteurs locaux de s’incruster aussi dans les secteurs à forte potentialité de rentabilité ? L’apport des investisseurs étrangers pourrait-il permettre un développement induit des technologies avancées, ainsi que la diffusion et la maîtrise des connaissances techniques pointues et la science ?
AXA et son partenaire Chaucer comptent par exemple développer les réseaux mobiles qui n’ont pas besoin d’infrastructures de téléphonie fixe avec les technologies dernier cri, en utilisant le big data et les données satellitaires. Ces dernières technologies sont possibles grâce au partenariat signé entre la Banque Mondiale et le groupe AXA dans le but de développer ce que les spécialistes nomment l’assurance paramétrique sur le continent africain.
Selon les plans présentés, Axa Africa Speciality Risks compte indemniser le plus rapidement possible et automatiquement les petits fermiers pendant les périodes de sécheresse, en détectant instantanément par satellite les zones atteintes par la calamité. A-t-on intégré également les investissements dans la construction des industries dans leurs stratégies de développement, étant donné que ceux dans les infrastructures ont été retenus ?
En s’attaquant au marché africain, Axa est sur les pas de la Société Générale et Orange, deux acteurs qui se sont déjà implantés dans le continent. L’Afrique subsaharienne est aussi devenue le nouveau champ d’investissement pour les banques et les compagnies d’assurance. Axa par exemple envisage aussi d’attaquer les marchés kényan et ghanéen. Reste à savoir ce que bénéficient les pays de ce continent, depuis leurs entrées respectives sur ces marchés devenus juteux, par exemple en matière fiscal. Dernièrement des interrogations portant sur la fiscalité d’Orange ont été diffusées dans la presse camerounaise et sénégalaise.
Jean de Dieu MOSSINGUE
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