C’est pour mieux tuer Rocard politiquement que François Mitterrand le nomme premier ministre au début de son second septennat. Raphaëlle Bacqué rapporte dans son ouvrage : « L’enfer de matignon » que peu avant cette nomination, Mitterrand avait confié à Ambroise Roux :
« Je vais le nommer puisque les Français semblent en vouloir.
Mais vous verrez, au bout de dix-huit mois, on verra au travers »
Il ne fit, dès lors, que lui savonner la planche en tirant les ficelles de la courte majorité socialiste à l’Assemblée nationale. C’est ce qui explique que Michel Rocard eut recours à l’article 49-3 à 28 reprises, pour faire passer ses lois sans vote !!!
A titre d’anecdote, voici la façon pour le moins cavalière dont Michel Rocard se fit « démissionner », en 1991, de son poste de premier ministre, racontée par l’intéressé lui-même :
La gauche prétend que François Mitterrand fut un grand président. On lui laisse volontiers la responsabilité de ce jugement. Quant à moi, je pense que François Mitterrand porte une écrasante responsabilité dans la situation catastrophique actuelle de la France. Il a en effet fait perdre trente ans au parti socialiste dans son évolution vers la social-démocratie. Tous les partis socialistes d’Europe ont fait leur révolution culturelle. Seule la France fait exception, avec un parti socialiste qui a toujours refusé de se séparer de son aile gauche marxiste.
Le second responsable de cette situation, c’est bien évidemment François Hollande qui paye aujourd’hui son incurie à la tête du PS. Après l’élimination cataclysmique de la gauche dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2002, le premier secrétaire du PS de l’époque, François Hollande, aurait dû en tirer toutes les conséquences et refonder son parti en optant clairement pour la social-démocratie. Au lieu de cela, Hollande a « géré » les courants sans rien réformer ! « Même les WC ne fonctionnait pas, rue de Solférino ! » dixit Martine Aubry et elle ajoutait : « Arrêtez de dire que François travaille, il ne fout rien ! »!
La crise actuelle au sein du PS aurait dû être réglée du temps de François Mitterrand !
Le malentendu de l’élection de François Hollande en est la conséquence la plus calamiteuse !
Dans le Point de la semaine dernière est parue une longue interview sur Michel Rocard qui a motivé cet article. J’ai toujours beaucoup apprécié Michel Rocard, un des rares socialistes avec Jacques Delors a n’être pas dogmatique et à avoir une vision saine de l’économie moderne.
Je voudrais donner quelques extraits de cette interview dont l’intégralité est accessible (en pdf) en cliquant sur l’image ci-contre. Je recommande sa lecture complète mais je me concentre dans cet article sur son jugement sur la gauche.
Interview de Michel Rocard par Emmanuel Beretta, Caroline Galactéros et Olivia Recasens dans le Point
En France, on ne parle plus que d’Emmanuel Macron. Est-ce un homme de gauche ?
La vérité française, c’est que l’on ne sait plus ce qu’est la droite et la gauche. Autrefois, les critères étaient la proximité avec le PC et un degré d’étatisme important, préservé même à droite par de Gaulle. Deux archaïsmes dont Macron s’est totalement affranchi, mais il reste du côté du peuple, donc de la gauche. Assurer un bien meilleur niveau d’emploi, Macron ne pense qu’à ça. Réduire les inégalités, on peut encore faire avec lui. Reste le vrai signal de gauche qui consiste à donner à l’homme plus de temps libre pour la culture, les choses de l’esprit, le bénévolat associatif, etc. Le capitalisme doit ménager cet espace. C’est le modèle du socialisme démocratique à la scandinave.
Une partie de la gauche rejette Macron …
Oui, tous ceux qu’on appelle les « frondeurs », c’est-à-dire les gens qui pleurent la perte des signes identitaires de la gauche. Les frondeurs exigent des politiques qui ont gardé le nom de « gauche » dans leur patrimoine, qu’ils envoient des ordres politiques au marché, comme corriger les inégalités ou préserver le repos dominical. Mais le marché digère mal les signaux politiques non calibrés.
François Hollande bat des records d’impopularité. S’il ambitionnait un second mandat, quel serait votre conseil ?
Changer ! Le problème de François Hollande, c’est d’être un enfant des médias. Sa culture et sa tête sont ancrées dans le quotidien. Mais le quotidien n’a à peu près aucune importance. Pour un politique, un événement est un« bousculement ». S’il est négatif, il faut le corriger. S’il est positif, en tirer avantage. Tout cela prend du temps. La réponse médiatique, forcément immédiate, n’a donc pas de sens. Cet excès de dépendance des politiques aux médias est typique de la pratique mitterrandienne, dont François Hollande est l’un des meilleurs élèves. Or le petit peuple de France n’est pas journaliste. Il sent bien qu’il est gouverné à court terme et que c’est mauvais. Cela dit, je ne crois pas que François Hollande y puisse quelque chose. D’abord, c’est trop tard. Et puis, on ne change pas comme ça.
Diriez-vous à la lumière de sa trajectoire que Mitterrand était, en fait, un homme de droite ?
Tout le démontre. C’est évident. Mitterrand était un homme de droite. N’oubliez pas qu’il est devenu premier secrétaire du Parti socialiste moins de trois jours après avoir pris sa carte … Comme accoutumance à une longue tradition culturelle, c’est un peu bref.
Pensez-vous, comme Régis Debray, que la gauche française a perdu la bataille des idées ?
Oui, la gauche a perdu la bataille des idées, et pas seulement en France. La crise est profonde, mondiale. Quel que soit le prochain président, il n’aura pas les moyens de résoudre tout seul la crise économique. Je ne me prêterai donc pas au jeu de rôles de savoir qui sera le prochain. On peut toujours s’en prendre au politique, mais ce n’est pas sérieux. Nous sommes passés de 5 à 6 % de croissance économique à 2 ou 3 % au mieux. L’autre phénomène est le mépris pour l’investissement : les détenteurs de fortunes préfèrent désormais jouer avec leur argent qu’investir. Les actionnaires s’y sont mis. Ils ont réclamé plus d’argent. Pendant les Trente Glorieuses, période de plein emploi, on rémunérait mal les actionnaires car on payait bien la main-d’œuvre. Henry Ford avait donné le la en inventant la semaine de cinq jours payés six, « pour que mes travailleurs, disait-il, puissent acheter mes voitures ». Mais voilà, dans les années 70, on a doublé la part distribuée aux actionnaires. D’abord aux dépens des sous-traitants, le patronat a externalisé vers des entreprises petites et peu syndicalisées pour renégocier les contrats, puis des employés maison. Cela s’est fait dans tous les pays développés.
Et l’avènement de la quatrième révolution industrielle ne semble pas générer autant d’emplois que nous pouvions l’espérer …
Les sources d’emploi existent, mais, pour les exploiter, il faut de la connaissance. Qu’on apprenne les biotechnologies comme on apprend l’Égypte ancienne ! Nos chefs d’entreprise et nos syndicalistes n’ont pas une culture économique suffisante. Et notre système social tue les poules aux œufs d’or. Il naît tous les ans en France autant de start-up qu’en Allemagne, sauf qu’elles meurent dans les cinq premières années à cause de notre fiscalité et du poids excessif de l’administration.
Notre passion de l’égalitarisme ne produit-elle pas aussi des effets pervers ?
Nous parlons et écrivons le mot « égalité » partout, mais dans les faits la France est dans la moyenne de l’Europe, entre la Grande-Bretagne, clairement inégalitaire, et l’Allemagne, qui fait mieux que nous. Je le répète, les pays scandinaves montrent la voie, celle d’une organisation sociale plutôt harmonieuse, sans trop de conflits, et respectueuse des biens collectifs: éducation, santé, transports publics et environnement.
Quel autre tabou la gauche doit-elle faire sauter ?
La gauche française est un enfant déformé de naissance. Nous avons marié deux modèles de société radicalement différents, le jacobinisme et le marxisme. Pas de souveraineté des collectivités territoriales, pas de souveraineté des universités, tout est gouverné par le sommet, ça c’est le jacobinisme. Avec la prétention d’avoir une analyse rationnelle de la production, ça c’est le marxisme. Et, particularité française, la volonté révolutionnaire de travailler à la démolition du capitalisme, ce qui explique l’absence de dialogue social et de culture économique.
Pourquoi voulez-vous comprendre le système puisqu’il faut en mettre un autre à la place ? La gauche française se raconte aussi à travers la dynastie de ses chefs : Paul Faure, secrétaire général de la SFIO choisissant le ministre du Travail du maréchal Pétain, ou Guy Mollet, inoubliable créateur de la guerre d’Algérie. D’autres leaders ont contesté l’idée du Grand Soir. Ces progressistes qui voulaient faire marcher l’économie s’appelaient Jean Jaurès ou Léon Blum. Blum, qui était le seul de la bande à avoir lu Marx, a eu cette phrase en 1936 : « A l’évidence, la situation n’a rien de révolutionnaire, nous ne pouvons être que des loyaux gérants du capitalisme. » Cette dissidence subversive est restée minoritaire. Les autres pays se sont débarrassés du marxisme.
Les Allemands ont, après guerre, envoyé la dictature du prolétariat, la lutte des classes, Karl Marx et ses certitudes, aux oubliettes de l’Histoire pour se rallier à l’économie de marché. Pas la France, où Mitterrand, qui avait conquis le PS et voulait le pouvoir, avait un besoin stratégique du PC. Très vite, il a affirmé que les nationalisations étaient une revendication du milieu ouvrier, et que n’était pas socialiste qui s’y refusait.
Alors que partout émerge une social-démocratie réformiste, ralliée à une économie de marché régulée pour limiter chômage et inégalités, la gauche française se distingue. La drôlerie, c’est le vocabulaire: les termes « socialisme » et« social-démocratie » sont interchangeables, alors qu’ils ne recouvrent pas la même définition.
Diriez-vous que la gauche française est la plus rétrograde d’Europe ?
Dans toute l’Europe, la gauche française est celle qui a été la plus marquée par le marxisme. Elle en porte les traces. On peut admettre que la pensée politique marxiste, ou ce qu’il en reste, est rétrograde.
Interview menée par Emmanuel Beretta, Caroline Galactéros et Olivia Recasens pour le Point.
Source: jesuisstupide
Michel Rocard est mort
L’ancien Premier ministre socialiste français Michel Rocard, théoricien de la deuxième gauche, est décédé dans l’après-midi du 2 juillet. Il avait rencontré RT France, il y a quelques semaines pour l’une de ses dernières interviews.
Michel Rocard est décédé à l’âge de 85 ans dans l’après-midi du 2 juillet dans un hôpital parisien, a fait savoir Francis Rocard, le fils du Premier ministre de François Mitterrand de 1988 à 1991.
Dans le courant du mois de mai, Michel Rocard avait accordé une interview à RT France où il n’était pas tendre avec l’Europe qui a été mise en ligne sur notre site le 26 mai. C’est très probablement l’une des dernières interviews qu’il ait données.
En fin de journée, l’actuel Premier ministre Manuel Valls, qui a entamé son parcours politique au sein du cabinet de Michel Rocard, lui a rendu hommage, le qualifiant de «militant, visionnaire, homme d’État» qui a «incarné la modernisation de la gauche et l’exigence de dire la vérité».
«C’est avec une immense tristesse que j’apprends aujourd’hui la disparition de Michel Rocard. Je me suis engagé en politique par et pour Michel Rocard. Parce qu’il avait dit en 1978 qu’il n’y avait pas de fatalité à l’échec de la gauche. Parce qu’il disait avant les autres que le changement passe par la réforme et non par la rupture», a souligné le locataire de Matignon dans un communiqué.
François Hollande a lui aussi rendu hommage à Michel Rocard, parlant d’«une grande figure de la République» incarnant un socialisme conciliant «utopie et modernité». «Doté d’une personnalité exceptionnelle, il avait entrainé derrière lui de nombreuses générations et avait cherché à réformer et à apaiser la France. Sa méthode fut celle du dialogue, du compromis. Il nous inspire encore aujourd’hui», a encore relevé le président.
En dépit des fortes tensions qui existaient avec François Mitterrand, le nom de Michel Rocard restera attaché à d’importantes réformes comme celle du Revenu minimum d’insertion (RMI) en 1988. C’est également lui qui ramena la paix civile en Nouvelle-Calédonie ou qui insituera la Contribution sociale généralisée (CSG).
Source: RT France
Brexit : pour Michel Rocard, «l’Europe se meurt car elle ne possède pas d’évidence stratégique»
Michel Rocard
Le jour du référendum du Brexit qui déterminera le destin de la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne, RT France vous révèle une interview de Michel Rocard, Premier ministre sous François Mitterrand, réalisé au mois de mai.
«Mais que les Anglais s’en aillent, puisque leur gouvernement et leur presse passent leur temps à insulter l’Europe», lance Michel Rocard. A la question de notre journaliste lui demandant ce qu’il pense du Brexit, l’ancien Premier ministre répond en donnant tous les arguments expliquant le malaise de l’Europe.
Ainsi, «l’Europe se meurt car elle ne possède pas d’évidence stratégique», remarque Michel Rocard, avant d’affirmer qu’«il n’y a pas d’Europe». Les raisons d’une telle non-existence ? Premièrement «elle n’a pas d’instances lui permettant de prendre des décisions rapides et fortes». Deuxièmement, «l’euro n’est pas une vraie monnaie, car ceux qui la gèrent n’ont pas le pouvoir de mettre tout sur la table pour bloquer la spéculation».
L’ancien Premier ministre souligne également que «l’Europe a du mal à prendre position et à se défendre internationalement en Afrique, quand des tueurs menacent notre conception de la civilisation et de la vie en commun entre les civilisations» et que «tout ça s’aggrave par la peur». Bref, pour Michel Rocard, le problème n’est pas le Brexit, mais l’Europe en elle-même.
Lire aussi : Michel Rocard : «Manuel Valls s’est servi du 49.3 pour brutaliser ou intimider sa propre majorité»
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Source: RT France