En général, Guy-André Kieffer est présenté comme le journaliste d’investigation poil à gratter qui enquêtait sur les «affaires» réelles ou supposées dans lesquelles étaient mouillés les barons du régime Gbagbo.
Mais il est bon de se souvenir que, de tous ses fameux articles publiés sous pseudonyme dans la presse ivoirienne, celui qui a créé un vrai gros «buzz» international mettait en cause… Anthony Ward, le patron de la société Armajaro, notamment spécialisée dans le négoce de cacao, et dont le directeur Afrique est depuis quelques années Loïc Folloroux, le fils de Dominique Ouattara. C’était juste après le déclenchement de la rébellion ivoirienne, le 19 septembre 2002. Dans un article paru en dernière page de «Fraternité-Matin», signé «Laurent», Guy-André Kieffer dénonçait «Armajaro et AIG Fund : les financiers de la déstabilisation». Il met en relation l’achat de plus de 5% de l’offre mondiale de cacao par Armajaro et le lancement de la rébellion, qui permet une déstabilisation des approvisionnements, une hausse des cours et une grosse plus-value pour les spéculateurs encagoulés. A l’époque, l’évocation d’Armajaro par Kieffer divise les différents clans autour de Gbagbo, dans la mesure où lui-même a à coeur de faire payer ses déconvenues en affaires à certains d’entre eux. Notre Voie riposte à l’article.
La confusion s’empare de l’opinion ivoirienne qui oublie. La mort de Guy-André Kieffer enterre définitivement ce fameux dossier Armajaro. Jusqu’au mois d’août 2010, où il récidive dans une opération d’achat massif de cacao comme celle qui a précédé la «première guerre». Ministre du Budget sous le gouvernement Aké N’Gbo, Koné Katinan a confirmé, dans «Côte d’Ivoire : le coup d’Etat», la forte implication d’Armajaro dans le financement des assauts sur Abidjan par les forces pro-Ouattara.
« En ce qui concerne la suspension des exportations du cacao de janvier 2011, il est clair que sous le couvert des sanctions de l’Union Européenne, se cachait une vaste opération spéculative sur le cacao menée par Armajaro.
En effet, en juillet 2010, tout juste avant les élections de novembre, cette société a acheté un fort tonnage de cacao, au delà de ses achats habituels. Les services de la filière café cacao parlent de plus de 200 000 tonnes de produits achetés par ladite société. Ces énormes achats ont fait réagir les autorités chargées de gérer la filière café cacao. La crise née des élections devait logiquement entraîner une augmentation des prix sur le marché international.
Cette embellie allait bénéficier à ladite société qui avait décidé d’écouler le cacao à prix d’or. Ainsi, la décision du 24 juillet, en provoquant une pénurie du produit sur le marché international, a donné l’occasion d’écouler à un prix ultra élevé le stock monumental constitué par la société Armajaro. Donc Loïc Folloroux, bénéficiant d’informations de première main de la part de ses parents (Dominique et Alassane Ouattara) sur les différentes actions de déstabilisation en cours dans le pays, a probablement informé ses partenaires et la société Armajaro a pu constituer des stocks à des fins spéculatives.
C’est exactement ce qu’elle avait fait en 2002, un an seulement après avoir obtenu son agrément en Côte d’Ivoire. Cette spéculation lui avait permis de financer la rébellion. Ce que je peux dire sur cette affaire, c’est que les achats et la constitution de stocks étaient des pratiques méconnues des sociétés d’exportation en Côte d’Ivoire jusqu’à l’avènement d’Armajaro. »
Au moment où l’affaire Kieffer se retourne spectaculairement contre le régime Ouattara, les informations qui précèdent permettent de comprendre que le journaliste et consultant franco canadien n’inquiétait pas que certains barons de la Refondation. Et qu’il avait été le premier à mettre en lumière une des plus grosses affaires de spéculation et de guerre économique de ces dernières années.
Phillipe Brou