Le sommet de l’OTAN à Varsovie laisse voir des failles dans le bloc dirigé par les Etats-Unis
© Kacper PempelSource: Reuters
Sommet de l’OTAN à Varsovie, le 8 juillet.
Les membres de l’OTAN n’hésitent plus à exprimer leur désaccord avec la ligne américaine. En Europe, la crise des réfugiés et Erdogan inquiètent plus que la «menace russe», selon le journaliste irlandais Bryan MacDonald.
Le Financial Times est aussi pro-OTAN qu’un journal peut l’être. Par conséquent, lorsqu’il a révélé dimanche 10 juillet que l’organisation était de plus en plus divisée, il a confirmé ce que beaucoup d’analystes suspectaient depuis un moment : l’OTAN est divisé sur la «question russe».
Washington n’a pas convaincu la plupart des pays d’Europe occidentale et centrale que la Russie représentait une menace existentielle
Dans les années 1990, quand les dirigeants américains ont commencé à parler d’agrandir l’OTAN vers l’Est ça allait déjà trop loin. Des experts comme George Kennan, soviétologue distingué, ont évidemment prévenu que cela risquait de créer une nouvelle guerre froide. Malgré une énorme campagne de propagande et de lobyying, Washington n’est pas parvenue à convaincre la plupart des pays d’Europe occidentale et centrale que la Russie représentait une menace existentielle, et c’est peut-être la seule raison pour laquelle cette guerre froide ne s’est pas encore complètement matérialisée.
Le Financial Times a rapporté que, lors des discussions à Varsovie, le Premier ministre grec Alexis Tsipras «a[vait] rompu avec le consensus officiel et a plaidé en faveur d’un partenariat avec Vladimir Poutine». Selon la publication, «il a rapidement été remis à sa place» par Barack Obama. Même si la réponse américaine était d’une prévisibilité déprimante, le fait que Tsipras ait essayé de soulever la question n’était pas anodin. Inutile de dire qu’un bon nombre d’autres dirigeants ont silencieusement acquiescé à la proposition de Tsipras – sauf sans doute la Lettonie et la Pologne.
Qui est la cible?
Cela nous amène au nouveau grand problème de l’OTAN. Lorsque le club était à son apogée, tous ses membres étaient d’accord sur l’identité de leur principal ennemi. Et cet ennemi c’était le Pacte de Varsovie et l’URSS. Mais cette alliance a disparu il y a un quart de siècle et la plupart de ses anciens membres sont désormais des membres de l’OTAN. Par conséquent, il n’y a pas de consensus concernant l’ennemi n°1 de l’alliance aujourd’hui.
Pour Athènes, la plus grande inquiétude est la crise des réfugiés du Moyen-Orient et la Turquie d’Erdogan
Si vous allez à Riga ou à Varsovie, c’est encore la Russie, en particulier depuis la crise en Ukraine. Dans les pays baltes, où une minorité ethnique russe reste importante, il est compréhensible que leurs gouvernements exagèrent la menace russe pour essayer de détourner l’attention d’autres problèmes.
L’appréhension polonaise a moins de légitimité – à ce stade, même les Etats-Unis sont fatigués de l’actuel régime polonais qui semble haïr tout ce qui est étranger.
Cependant, pour Athènes et Tsipras, la plus grande inquiétude est la crise des réfugiés du Moyen-Orient et la Turquie d’Erdogan de plus en plus imprévisible suivrait de près sur la liste.
La Grèce, qui se serre déjà la ceinture alors qu’elle connait une crise économique sans précédent, a besoin d’une résolution sur le conflit syrien et irakien de toute urgence, ce qui permettrait d’endiguer le flux de migrants. C’est pour cela que Tsipras a fait cette intervention. Parce qu’il sait que la si controversée expansion de l’OTAN vers l’Est n’est qu’accessoire – et l’Ukraine est également accessoire – c’est Damas qui est au cœur des enjeux.
La seule capitale dont les Américains tiennent compte est Berlin
Rappelons également que le nouveau chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg a déclaré avec insistance que Moscou ne représentait «aucune menace imminente pour aucun des alliés de l’OTAN».
«La guerre froide», a-t-il déclaré, «fait partie du passé et devrait le rester». Cette prise de position tranche avec les déclarations de son agressif prédécesseur, Anders Fogh Rasmussen. L’Italie, l’Autriche et la Hongrie sont très certainement d’accord avec Stoltenberg, ainsi que le président de la France François Hollande qui a appelé à ce que la Russie soit traitée comme un «partenaire» et non une menace.
A Berlin, le long du mur
Le problème est que Washington n’écoute pas vraiment ces pays. Aujourd’hui, la seule capitale dont les Américains tiennent compte est Berlin et le récit allemand devient plus schizophrène de jour en jour. D’un côté, Franck-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères, condamne les récents exercices militaires de l’OTAN en Pologne et déclare qu’ils «incitent à la guerre». D’un autre côté, Angela Merkel, la chancelière, est déterminée à envoyer d’avantage de troupes allemandes à la frontière entre la Russie et les pays baltes. Certains faiseurs d’opinion concernant la Russie associent cela au bon et au mauvais policiers, mais ce n’est pas aussi simple. En résumé, l’Allemagne est dirigée par une grande coalition des partis CDU et SPD. Merkel est à la tête du CDU qui est généralement pro-américain et a une attitude atlantiste alors que le SPD, dont Willy Brandt et Helmut Schmidt étaient membres, a une tradition de méfiance vis-à-vis des intentions de Washington, et est en faveur d’un continent européen uni.
Seuls 9% des Allemands approuvent le déploiement ordonné par Merkel dans les pays baltes
La raison des divergences dans le récit de Berlin est que les deux groupes vont s’affronter lors des élections l’année prochaine et leurs dirigeants essayent d’attirer l’attention et le vote des Allemands. Des sondages montrent que seuls 9% des Allemands approuvent le déploiement ordonné par Merkel dans les pays baltes. Par conséquent, le SPD espère que leur résistance à plus de militarisation les aidera à remporter la chancellerie pour la première fois depuis 2005.
Pourtant, malgré les inquiétudes légitimes de beaucoup d’alliés qui perçoivent le chaos au Moyen-Orient comme le premier danger pour l’Europe, l’Amérique continue d’évoquer «l’agression russe». En effet, pour maintenir leur gigantesque budget pour la défense (qui d’ailleurs est plus grand que le PIB de la Grèce), Washington a besoin d’un ennemi de taille et la Russie est un gros gibier. Pas besoin de posséder l’arme nucléaire, des sous-marins ou d’autres équipements très coûteux pour combattre l’Etat islamique, mais pour se frotter à la Russie si. Aujourd’hui les fabricants d’armes font la fête comme en 1979.
Des Tigres de papier
Evidemment, tout expert compétent sait que la Russie ne représente pas une réelle menace pour l’OTAN et qu’il est absolument impossible d’envisager que Moscou puisse un jour lancer une attaque militaire contre l’alliance. De la même façon qu’il est difficile d’envisager que les 28 membres de l’OTAN se mettent d’accord pour envahir la Russie.
Alors que la propaganda américaine continue de citer la crise ukrainienne comme une sorte de précédent, elle semble ignorer que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN et a des liens historiques et stratégiques avec la Russie que la Pologne et les pays baltes n’ont pas.
L’année prochaine la France et l’Allemagne pourraient avoir de nouveaux gouvernements plus enclins à renouer avec le Kremlin
Indépendamment des messages antirusses que l’Amérique envoie constamment, la plupart des pays en Europe ont refusé de considérer Moscou comme une menace existentielle. Dans le même temps, après des dizaines d’années à voir son influence décroître, la belliciste Grande-Bretagne a voté pour ne plus avoir aucune influence, et l’année prochaine la France et l’Allemagne pourraient avoir de nouveaux gouvernements plus enclins à renouer avec le Kremlin.
La réponse de Moscou à la position de l’OTAN est désormais déterminante. Si elle renforçait sa défense et envoyait plus d’hommes à ses frontières occidentales, il ne fait aucun doute que l’Amérique se servirait de ces actions pour unir le bloc et envoyer d’avantage de bataillons dans la région. Narva (dans l’Est de l’Estonie) pourrait bientôt être la nouvelle Berlin et les rapaces de Washington auront réussi à créer une nouvelle guerre froide dont ils avaient tant envie. D’un autre côté, le Kremlin pourrait décider d’anéantir leurs rêves et ignorer les exercices militaires de l’OTAN. Ça serait plus intelligent et cela montrerait l’OTAN sous son vrai jour. Une relique de la guerre froide et rien de plus qu’un racket qui entretient le complexe militaro-industriel, des bureaucrates très bien payés et des lobbyistes qui ne font rien.
Lire aussi : «L’agression des pays baltes ne répondrait à aucun intérêt russe»
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Source: RT France
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