La mafia et les terroristes : vers une collaboration dangereuse ?
© Ammar AbdullahSource: Reuters
Alors que l’Europe fait face à une menace terroriste de plus en plus sérieuse, les groupes criminels organisés collaborent avec les terroristes. Antonio de Bonis, expert d’Europol, songe aux raisons et aux conséquences d’un tel partenariat.
RT : Le terrorisme islamique, représenté aujourd’hui par Daesh, prétend avoir le monopole de la violence, de la justice, et une tolérance zéro pour la criminalité. Les terroristes et la mafia peuvent-ils coopérer en vue d’un bénéfice mutuel malgré leur incompatibilité éthique ?
A. B. : Ce n’est pas une question d’éthique. La mafia a toujours eu un seul intérêt : faire des profits. Pourquoi travaille-t-elle avec les rebelles et les terroristes ? Les deux cherchent à mettre des territoires sous leur contrôle. Du coup, la criminalité organisée locale, dans des pays comme la Libye, l’Irak et la Syrie, commence à s’y intéresser. L’exemple de l’Etat islamique l’illustre particulièrement bien – ils ont envie de collaborer avec des groupes criminels locaux. Le crime organisé cherche la protection politique des forces qui contrôlent leur territoire. Les terroristes qui le contrôlent sont, à leur tour, prêts à coopérer avec les criminels, parce qu’ils ont besoin d’argent. De fait, dans ce cas particulier, les intérêts des criminels et des terroristes coïncident, mais cela ne concerne que l’argent. En Italie, comme en Europe en général, on n’a pas à faire face à une telle situation pour le moment.
Daesh devient de plus en plus proche d’une mafia par sa structure
RT : On a toujours cru que les méthodes des terroristes, notamment tuer seulement pour tuer, massacrer pour installer la peur… contredisaient le code d’honneur de la mafia. Le code d’honneur de la mafia existe-t-il, ou n’est-ce qu’une fantaisie inspirée par le film «Le Parrain» ?
A. B. : Les principes moraux d’un groupe criminel changent en fonction de leurs besoins, ils sont censés assurer l’unité. Le crime organisé aujourd’hui n’a pas d’idéologie. Toute idéologie est une contraint – elle donne une force qui attire les gens. La mafia italienne a eu ses propres rituels, mais ils étaient purement utilitaires. Ils étaient destinés à assurer l’unité au sein de ses rangs, même si cela n’est plus d’actualité de nos jours. Quand une personne violait les règles du code d’éthique de la mafia, on les punissait de manière physique et pas morale.
Aujourd’hui les organisations criminelles ne prétendent pas avoir une idéologie et n’ont aucune volonté de se construire une identité idéologique. Même Daesh, qui devient de plus en plus proche d’une mafia par sa structure – d’après sa manière de gérer les territoires sous son contrôle – fait la même chose. Le groupe a besoin d’argent pour contrôler son territoire et contredit l’islam, même son courant sunnite. Ainsi, je crois que l’orientation idéologique a pour but d’atteindre les buts économiques et assurer un contrôle sur des territoires.
La mafia a pu combattre le terrorisme, mais elle ne le fera pas d’elle-même, elle n’est pas intéressée.
RT : Des médias ont annoncé de par le monde qu’un fils du chef d’un clan célèbre de la mafia new-yorkaise, Giovanni Gambino, avait promis de protéger New York du terrorisme. Il a indiqué que la mafia était mieux placée pour lutter contre le terrorisme que la police. Comment la mafia peut-elle le faire ?
A. B. : En théorie, la mafia peut s’opposer à n’importe quelle forme de terrorisme, mais seulement si cela menace ses intérêts économiques. Le père Gambino est un boss du XXe siècle. Ce n’est un secret pour personne que, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Cosa Nostra américaine, et en particulier ses clans new-yorkais, ont aidé le gouvernement à prévenir les attentats terroristes de l’Allemagne nazie. La mafia a pu combattre le terrorisme, mais elle ne le fera pas d’elle-même, elle n’est pas intéressée. Ce qui a eu lieu au XXe siècle est impossible aujourd’hui.
RT : Trois réfugiés ont récemment été arrêtés en Italie. Qui s’occupe de la recherche des terroristes parmi les réfugiés ? La police, les services frontaliers ou les services de sécurité ?
A. B. : Si on parle des terroristes professionnels, un terroriste qui planifie un attentat ne se cachera pas dans la foule de réfugiés. Ces gens-là voyagent en première classe.
Si quelqu’un est aperçu par les forces de sécurité, si on a l’information ou le moindre indice que quelqu’un est sur le point de se radicaliser et pourrait devenir terroriste, la législation nous autorise à le détenir et le déporter du pays.
Qu’est-ce que cela nous donne ? Cela nous permet d’arrêter le processus à l’étape de l’endoctrinement. Je parle, bien sûr des prétendus terroristes qui sont «sur le terrain», qui sont déjà venus dans le pays.
Un terroriste qui voyage d’un pays à l’autre pour faire un attentat, c’est un phénomène absolument différent. Il est claire que l’afflux migratoire devrait être suivi, mais c’est un problème à part. Franchement, j’ai du mal à imaginer un terroriste qui voyagerait dans un bateau gonflable. Il n’a simplement pas besoin de le faire.
RT : Où les terroristes européens prennent-ils de l’argent pour acheter des armes, des bombes pour organiser des attentats ? Est-ce que l’argent arrive de groupes terroristes centralisés ou d’autre part ?
A. B. : Si on prend un exemple concret comme les attentats terroristes à Paris, l’enquête a montré que les terroristes qui ont commis des attentats en France n’étaient financés que par eux-mêmes. Ils ont trouvé des armes grâce aux relations personnelles qu’ils ont établies en prison, en purgeant leur peine pour des crimes antérieurs. Ils ont contacté d’autres criminels qui avaient la possibilité d’acheter des armes en Belgique et les vendre.
Dans le cas de la mafia, les intérêts du monde criminel, des hommes d’affaires et des politiciens sont intimement liés
RT : Les cartels de la drogue au Mexique ou d’autres pays d’Amérique Latine finissent souvent par reprendre certaines fonctions étatiques. Ils se déclarent protecteurs des pauvres, ils offrent l’assistance sociale, veillent sur l’ordre dans certaines régions qu’ils contrôlent. Si on laisse ces groupes sans surveillance, peuvent-ils devenir de vrais contrepoids aux autorités gouvernementales ?
A. B. : C’est une question qui dépasse la région de l’Amérique du Sud. Pour comprendre le crime en tant que phénomène, il faut préciser une chose. Qu’est-ce un groupe du crime organisé ? C’est un groupe de personnes qui se réunissent pour une période donnée en vue de perpétrer des crimes, comme du trafic des drogues ou d’êtres humains ou quelque chose de ce genre. Une organisation mafieuse, c’est absolument différent. La mafia utilise ses membres et son autorité pour mettre la société sous son contrôle. Cela veut dire qu’elle a recours à l’intimidation et à la coercition, ce qui donne lieu à la fameuse «omerta», le code du silence, quand les gens ne peuvent pas signaler les crimes commis. La mafia ce n’est pas un phénomène uniquement italien, elle n’est pas née en Italie, mais pour un grand nombre de raisons, c’est en Italie qu’elle a commencé à jouer un rôle particulier.
La mafia est composée d’individus, elle existe et est inhérente à toute société humaine, mais, contrairement à un groupe banal du crime organisé, dans le cas de la mafia, les intérêts du monde criminel, des hommes d’affaires et des politiciens sont intimement liés. Lorsque les trois groupes ont des intérêts communs, c’est là qu’il a un grave problème. La mafia ne cherche pas à prendre la place de l’Etat – elle a besoin de l’Etat, parce qu’elle a besoin de règles pour mener ses activités. La mafia se glisse dans tous les pores de l’Etat, en profitant de ses faiblesses par le biais de la corruption. Si nous prenons [l’exemple du] Mexique, le crime organisé au Mexique a considérablement changé au cours des 15-20 dernières années. Certaines organisations, par exemple le plus célèbre des cartel mexicains, le cartel de Sinaloa, s’est transformé en une structure de type mafieux. Ils contrôlent le territoire, payent les fonctionnaires qui les aident à blanchir l’argent et à investir leurs gains. Les simples groupes du crime organisé ne font pas cela, ils opèrent, pour ainsi dire, à un niveau inférieur. Le danger est que la mafia ait un impact sur le développement du pays. Si les fonctionnaires de l’Etat sont corrompus et soudoyés pour qu’ils signent certains contrats, donnent des licences et des permis pour des projets économiques, le pays ne peut pas se développer normalement, puisque le système est clairement asymétrique. Voilà l’unique danger de la mafia. Mais je répète : ce phénomène apparaît dans de nombreux pays, sous de nombreuses formes différentes et sous des noms différents.
Vous ne pouvez simplement pas trouver un compromis avec la mafia, le prix d’un tel partenariat est trop élevé
RT: Après le tremblement de terre au Japon et la catastrophe nucléaire de Fukushima, la mafia japonaise a pu jouer un grand rôle dans les efforts de secours de l’après-catastrophe – au moins au début, quand les fonctionnaires étaient perdus. Était-ce un cas isolé, ou parfois la mafia peut aider les gens ?
A. B. : Les syndicats du crime organisé japonais – les Yakuza – sont un cas particulier. Les Yakuza ont leurs propres bureaux, leurs propres représentants – la plupart de temps ils mènent leurs activités ouvertement. Bien sûr, dans certaines circonstances, le crime organisé peut agir de la façon dont ont agi les Yakuza après Fukushima, mais seulement avec leurs propres intérêts économiques à l’esprit. Tout groupe de crime organisé exigera certainement un paiement pour ses activités, et quand une société décide d’avoir affaire à quelque mafia que ce soit, elle commet le péché originel. Vous ne pouvez simplement pas trouver un compromis avec la mafia, le prix d’un tel partenariat est trop élevé.
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Source: RT France
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