Les multinationales pillent d’une manière sournoise les ressources naturelles africaines surtout celles minières. Une magouille orchestrée avec la complicité des gouvernants africains signataires des conventions minières au détriment des populations qui s’enfoncent dans la pauvreté malgré la richesse de leur sous-sol.
« Vaincre la malédiction des ressources en Afrique ». C’était le thème de la table ronde de haut niveau qui réunissait universitaires, organismes et entre autres acteurs de la société civile africaine, le mardi 13 mai 2014 à l’Institut africain de développement économique et de planification (IDEP) de Dakar.
Les échanges riches en révélations ont permis de mettre à nu les méthodes sournoises aux conséquences dévastatrices utilisées par les multinationales qui exploitent les ressources africaines. Une démarche aux allures de « suceuse de sang » a été décriée par les orateurs qui avaient beaucoup de peine à cacher leur désarroi face à l’action cancérigène des multinationales.
Sans mettre de gants, le directeur exécutif de Trust Africa à Dakar, M. Akwasi Aidoo, a mis les pieds dans le plat. Il vocifère contre ce qu’il qualifie de flux financiers illicites qui sortent d’Afrique. A l’en croire, en 50 ans, près de 850 milliards de dollars ont été déplacés de manière illicite d’Afrique. Dans ce même cadre, M. Aidoo est ulcéré par les multinationales qui, d’après lui, à elles seules font sortir près de 50 milliards de dollars d’Afrique. Des échappés qu’il évalue à 286 millions de dollars au Nigeria, 31 en RD Congo, 24 au Congo Brazzaville, 71 en Angola, 24 en Guinée Équatoriale, 35 en Côte d’Ivoire,18 au Soudan et le Sud Soudan « qui est en train de rattraper tout le monde ». La même maladie toucherait l’Afrique du Sud, le Gabon, le Liberia, la Guinée, le Tchad, l’Ouganda, le Botswana qui est considéré comme l’un des pays les plus démocratiques et stables.
Une radioscopie à couper le souffle du moment que les ressources minières représenteraient 50% de la base du développement en Afrique. Un élément qui, à cause d’une exploitation irrationnelle, est perçue comme une malédiction sur le continent.
A l’unanimité, les participants disent être meurtris par les conséquences engendrées par l’exploitation déséquilibrée des ressources minières qui est souvent à l’origine des conflits. « Les ressources naturelles sont à la base des conflits les plus connus en Afrique car les populations autochtones sont souvent désaffectées de leur terres sans compensation équitable», se désole M. Aidoo. A cela, il ajoute les dommages environnementaux aux allures de crime.
Simandou de la Guinée, un cas troublant
Pour étayer ses propos, le directeur exécutif d’OSIWA à Dakar, M. Abdul Tejan-Cole a cité le cas de Simandou, une montagne isolée au milieu de la forêt équatoriale en Guinée. Un site à perte de vue dont le sous-sol renferme du minerai de fer, la plus importante réserve inexploitée au monde. Sa valeur était estimée à plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars.
Simandou est à l’image de l’ensemble de la Guinée dont le sous-sol regorge de matières premières comme la bauxite, le diamant, l’or, l’uranium, le fer… Une richesse qui aiguise l’appétit des principaux groupes miniers de la planète qui s’y disputent les concessions alors que les 11 millions d’habitants ne profitent guère de ces trésors.
M. Abdul Tejan-Cole estime qu’« Ahmed Seckou Touré avait peut-être tous les défauts du monde mais il avait préservé les ressources de la Guinée ». C’est ainsi qu’il décrit l’acte de Lansana Conté qui, en décembre 2008, avait signé un contrat minier de 140 millions de dollars. Une somme qui, d’après le directeur exécutif d’OSIWA à Dakar, avait amené Mo Ibrahim à se demander si « les gens qui avaient signé ce contrat étaient des idiots ou des criminels ». Lui emboitant le pas, il estime que ces derniers doivent être traduits en justice pour crime « si l’on sait que la Guinée est l’un des pays les plus pauvres au monde ».
Le directeur exécutif de Trust Africa à Dakar décèle trois segments dans la chaine de valeur qui sont intimement connectés. A son avis, il s’agit de la corruption, de l’exploitation illégale des ressources naturelles et la fuite des taxes ou fraude fiscale. Cette dernière problématique partirait de l’octroi des licences avec des conditionnalités douteuses.
La complicité des gouvernants africains décriée
Cette danse des « cannibales » n’est pas du simple ressort des multinationales. Remontant la chaine, il est découvert la bonne place qu’occupent les dirigeants africains dans ce « deal ».
Akwasi Aidoo pointe du doigt un énorme « système mafieux » renforcé par la mal gouvernance des ressources minières en Afrique. Le ministre de la bonne gouvernance du Sénégal, M. Abdou Latif Coulibaly embouche la trompette. Cet ancien journaliste d’investigation estime que « l’Afrique n’a jamais su asseoir un leadership politique capable de bien gérer nos ressources minières depuis les indépendances ». Pour lui, cela résulte de l’incompétence, de l’amateurisme et de la corruption des dirigeants du continent.
Sur cet aspect, le directeur Afrique de l’ouest d’Oxfam America, Souleymane Zeba s’étonne du fait qu’après chaque alternance politique, le nouveau régime qui arrive s’empresse de renégocier les contrats miniers sans pour autant apporter un plus valu pour les populations.
Devant cet état de fait, il s’étonne que « le système démocratique qui gouverne la plupart des pays africains est perçu comme une bonne chose mais on peut se demander pourquoi les pays arabes qui sont des royaumes tirent plus de profits de leurs ressources pétrolières que ceux des pays africains ».
Le ministre Abdou Latif Coulibaly précise que les pays arabes qui sont généralement dirigés par des « tyrans » ne paient aux compagnies que le coût du service. Ce qui fait que l’entièreté du pétrole leur appartient. Pour cet ancien journaliste d’investigation, l’Afrique souffre d’un patriotisme dans ce sens. « Si nous faisions des efforts pour ‘être des patriotes, nous ne signerons jamais beaucoup de ces contrats miniers ».
Devant cette kyrielle de couacs, M. Coulibaly regrette la concurrence aveugle que les pays africains se donnent. Chacun veut être plus attractif que l’autre afin d’attirer plus d’investisseurs étrangers dans le secteur minier qui tiennent généralement pas compte des préoccupations des populations.
Des solutions africaines pour tuer le monstre
Le vin est ainsi tiré, l’Afrique est en train de le boire depuis 50 ans. Devant ce tableau sombre de l’exploitation minière, les animateurs de cette table ronde de l’Idep ne se sont pas limités à une posture alarmiste. Des esquisses de solutions mettant en exergue un vrai leadership africain et une bonne gouvernance dans la gestion du sous-sol africain ont été partagées.
Le directeur de l’IDEP, Pr. Adebayo Olukoshi plaide pour l’instauration d’une vision minière africaine. Il renvoie les pays aux standards retenus par l’Union africain dans ce domaine. Une démarche dont la finalité est d’interconnecter l’investissement et l’industrie du secteur minier au reste de l’économie.
Le directeur exécutif de Trust Africa, M. Akwasi Aidoo, pour sa part, invite à la promotion d’un nouveau paradigme avec un mouvement citoyen amenant tout le monde à dire « Y’en a marre » des crimes organisés dans la gestion minière. Cette idée devrait matérialiser la formation d’une alliance globale qui va intégrer la diaspora et la communauté internationale citoyenne.
Le directeur Afrique de l’Ouest d’Oxfam America, M. Souleymane Zeba de son côté pense que les gouvernants devraient faire plus de place à la société civile dans le processus. A son avis, il convient de finaliser le code régional d’investissement actuellement en cours et qui est appuyé par la Fondation Ford. « Ce qui permettra de résister au chantage des multinationales ». Ce qui réconforte le directeur exécutif d’Osiwa, M. Abdul Tejan-Cole, dans sa position que les Etats doivent éviter de négocier individuellement. « Aucun pays ne peut négocier seul d’une manière équilibrée face à la Chine ».
Le ministre de la bonne gouvernance, M. Abdou Latif Coulibaly lui n’épouse pas trop l’idée d’un mouvement global. Pour lui, la meilleure démarche serait d’instaurer une élite engagée à la base qui doit mener le combat et porter la masse. Une idée qui lui permet d’écorcher la société civile « dont une bonne partie subit les mêmes tares que les gouvernements dans le domaine de la corruption ».
Pour parer à toute éventualité, la fondation Ford « arme » la société civile pour qu’elle puisse mieux mener ce combat. Le Président de la Fondation Ford, Darren Walker informe que la Fondation Ford travaille avec des Ong qui essayent de faire en sorte que les pays africains puissent sensibiliser les populations sur l’importance de ces industries extractives. D’après lui, il faut que la bonne gouvernance soit de mise pour que la population africaine puisse en bénéficier.
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Source: allafrica.com
Comment les multinationales escroquent l’Afrique

L’évitement de l’impôt des multinationales en Afrique prive le continent d’une manne pour faire face aux défis de lutte contre la pauvreté. Photo Philippe Huguen. AFP
Selon un rapport d’Oxfam, des investisseurs basés dans les pays du G7 ont échappé à 6 milliards de dollars d’impôt en 2010.
Les Etats sont désormais minoritaires: 51 des 100 plus grandes économies du monde sont désormais des multinationales. Et cela ne va pas s’arranger avec la vague d’optimisation, d’évitement et/ou d’évasion fiscaux que mettent en œuvre, en toute impunité, les plus grandes firmes de la planète. Dans son rapport Parlons argent : l’Afrique invitée du G7, publié ce mardi, Oxfam révèle qu’en 2010, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, des multinationales et des investisseurs basés dans les pays du G7 ont escroqué l’Afrique de 6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros). Cette somme correspond à plus du triple des fonds nécessaires pour combler le déficit de financement de la santé en Sierra Leone, au Liberia, en Guinée– trois pays dévastés par l’épidémie d’Ebola.
En cause: la manipulation des prix de transfert, une astuce qui permet à une entreprise de fixer artificiellement les prix auxquels ses filiales s’échangent des biens ou services dans le but d’échapper à l’impôt. Par ce biais, des firmes ont soustrait à l’impôt 20 milliards de dollars de bénéfices réalisés en Afrique. Le taux d’imposition des sociétés s’établissant en moyenne à 28 % dans les pays africains, cela correspond donc à un manque à gagner fiscal de près de 6 milliards de dollars. Mais cette manipulation des prix de transfert n’est que l’un des procédés mis en œuvre par les multinationales pour éviter de payer leur juste part d’impôt.
«Les administrations fiscales sont dépassées»
Quelle est l’ampleur du phénomène? Diverses évaluations existent. 160 milliards de dollars (145 milliards d’euros) par an de manque à gagner pour les seuls pays en développement, estime l’ONG Christian Aid. Dans un rapport publié le 26 mars 2015, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement estime que l’ensemble des pays en développement sont privés annuellement d’environ 100 milliards de dollars. «Ces 100 milliards ne recouvrent pas tous les procédés d’optimisation fiscale utilisés par les multinationales, ni les 138 milliards de dollars que les pays en développement perdraient chaque année en octroyant à celles-ci de généreux avantages fiscaux», rappelait Action Aid en 2013.
Reste que sur ces 100 milliards, la moitié, soit 50 milliards, échappe au seul continent africain. 50 milliards, c’est aujourd’hui le double de ce que reçoit l’Afrique en aide publique au développement. «A l’arrivée, les rentrées fiscales chutent, et les mesures d’austérité redoublent,confiait à Libération Johnlyn Tromp, d’Oxfam Afrique du Sud, lors du Forum social mondial de Tunis, en mars. Les administrations fiscales sont dépassées par les montages sophistiqués et sont, de plus, décimées par les coupes budgétaires. Elles sont un peu comme ceux qui n’ont pas les moyens de s’asseoir à la table d’un restaurant et se contentent de regarder le menu.»
Or, collecter davantage d’impôts est capital pour des pays qui vont devoir s’adapter au changement climatique et s’engager, en septembre au sommet de l’ONU, à l’occasion de l’agenda de développement post-2015. Avec, comme ambition, de mettre fin à la pauvreté et à la faim, améliorer la santé et l’éducation, bâtir des villes plus durables, combattre les changements climatiques et protéger les océans et les forêts.
Oxfam entend pousser le G7, qui se réunit les 7 et 8 juin en Bavière, à agir. «Les dirigeantes et dirigeants du G7 ne doivent pas se contenter de resserrer les mailles du filet dans leur propre pays et laisser les multinationales se soustraire à leurs obligations fiscales en Afrique, affirme Nicolas Vercken, d’Oxfam France. Le G7 doit associer l’Afrique aux efforts internationaux de réforme d’un système fiscal dysfonctionnel sur un pied d’égalité. Alors seulement l’Afrique pourra percevoir les recettes fiscales qui lui sont dues et dont elle a cruellement besoin pour vaincre l’extrême pauvreté et les inégalités.»
«Faites en sorte que les multinationales paient leur part!»
Il existe bien des initiatives internationales en cours pour mettre un frein à l’évasion fiscale des entreprises. C’est le cas du projet BEPS de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, piloté par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à la demande du G20. Mais, assure Oxfam, le projet laissera des failles béantes que les multinationales pourront continuer d’exploiter dans les pays en développement. Nombre de pays africains ont été exclus des discussions menées dans le cadre du processus de réforme BEPS ; ils n’en bénéficieront donc pas. «La France continue d’apporter un soutien sans faille au projet de l’OCDE et de s’opposer à une réforme fiscale plus ambitieuse et démocratique», dit Nicolas Vercken.
«Il est totalement absurde qu’il existe des organisations internationales pour le commerce, la santé, le football mais pas pour les taxes», ajoute Winnie Byanyima, la directrice exécutive d’Oxfam international. Oxfam, avec d’autres ONG comme Action Aid ou Christian Aid, ont lancé une Alliance globale pour la justice fiscale, avec un mot d’ordre: «Faites en sorte que les multinationales paient leur part!». La coalition multiplie les mobilisations et lance une semaine d’action entre les 16 et 23 juin pour accentuer la pression sur les gouvernements du monde entier.
Christian Losson
Source: Liberation
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