«Management par la terreur»: les ex-chefs de France Télécom en procès pour la vague de suicide de 2008-2009
L’ancien responsable des ressources humaines de France Télécom, Olivier Barberot (à droite) arrive lundi au palais de justice de Paris le premier jour du procès de plusieurs anciens membres de la direction du géant des télécommunications pour « harcèlement moral » dix ans après une vague de suicides à France Télécom entre 2008 et 2009. | AFP-JIJI
PARIS – L’ancien directeur général de France Télécom et d’autres ex-patrons ont été jugés lundi devant des accusations sans précédent de harcèlement moral qui auraient poussé 35 employés à se suicider il y a une décennie.
La vague de suicides, qui a choqué la France à cette époque, s’est déroulée de 2008 à 2009 et a soulevé des questions sur la culture du lieu de travail chez l’ancien géant des télécommunications.
La société est maintenant connue sous le nom d’Orange après avoir été renommée en 2013.
L’ancien chef de la direction, Didier Lombard, qui a dirigé la société de 2005 à 2010, plusieurs autres patrons et Orange lui-même sont actuellement jugés pour avoir prétendument supervisé le harcèlement institutionnalisé dans la société.
Le procès s’est ouvert devant la cour criminelle de Paris près de sept ans après que Lombard et France Télécom eurent été inculpés de «harcèlement moral», défini comme «des actes fréquemment répétés dont le but ou l’effet est de dégrader les conditions de travail».
«Pendant six mois, rien ne m’a été donné», a déclaré à l’AFP Yves Minguy, un ancien informaticien entré dans l’entreprise en 1973, avant le procès. « Ils faisaient pression sur nous pour arrêter. »
Il a finalement été réaffecté à un autre poste. « Mais un matin, sans prévenir, on m’a dit: « Rangez vos affaires, vous allez répondre au téléphone dans un centre d’appels » », a-t-il déclaré.
L’audience au palais de justice bondé a réuni des plaignants civils, parents d’anciens membres du personnel de France Télécom qui se sont suicidés.
«On m’a dit de faire partir les gens par tous les moyens nécessaires», a déclaré à l’AFP un ancien dirigeant âgé de 59 ans qui a donné son nom à Claude, faisant référence à son équipe de 120 travailleurs.
Aux côtés de Lombard, Louis-Pierre Wenes, ancien numéro deux de la société, et Olivier Barberot, ancien responsable des ressources humaines, étaient également sur le même banc.
Quatre autres personnes font l’objet d’accusations de complicité dans le cadre d’un procès devant être suivi de près par les entreprises, les syndicats et les experts en main-d’œuvre.
S’ils sont reconnus coupables, ils pourraient être condamnés à un an de prison et à une amende de 15 000 € (16 800 $). Le procès pourrait durer jusqu’au 12 juillet.
Orange lui-même pourrait être frappé d’une sanction de 75 000 € s’il est reconnu coupable.
Malgré les lois du travail françaises, qui comptent parmi les plus sévères au monde, les pressions exercées sur le lieu de travail, notamment la dépression, la maladie de longue durée, l’épuisement professionnel et même le suicide, suscitent de plus en plus d’inquiétudes.
Les syndicats et la direction reconnaissent que 35 employés de France Télécom se sont suicidés entre 2008 et 2009.
Lombard a démissionné à la suite des décès.
Ancienne entreprise publique, France Télécom a été privatisée en 2004, ce qui a entraîné une restructuration majeure et des pertes d’emplois.
Au cours de l’enquête, les magistrats se sont concentrés sur les cas de 39 employés, dont 19 se sont suicidés, 12 ont tenté de le faire et huit ont souffert de dépression aiguë ou ont été déclarés malades à la suite de celle-ci.
En juillet 2008, un technicien marseillais âgé de 51 ans s’est tué, laissant une lettre accusant les patrons de «management par la terreur». Deux mois plus tard, une femme de 32 ans a sauté par la fenêtre de son bureau parisien alors que des collègues horrifiés regardaient.
Lombard, qui a été président et chef de la direction de 2005 à 2010, a également enflammé la situation avec des propos condamnés pour leur impolitesse.
Il a admis avoir commis «une énorme gaffe» en parlant d’une «lubie suicidaire» dans l’entreprise.
Et en 2006, Lombard avait fait savoir au personnel dans des commentaires désormais notoires: «Je vais amener les gens à partir d’une manière ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte.»
Il a démissionné en mars 2010.
Le résumé des chefs d’instruction, dont copie a été vue par l’AFP, accuse Lombard de mettre en place «une politique d’entreprise visant à saper les employés… en créant un climat professionnel qui suscite l’inquiétude.»
Des centaines de personnes ont manifesté devant le tribunal avant l’ouverture du procès, demandant que justice soit rendue pour les anciens dirigeants.
«Ma vie aujourd’hui est ruinée», a déclaré Beatrice Pannier, ancienne employée de France Télécom, qui a rejoint la société en 1982 et est en congé maladie depuis qu’elle a tenté de se suicider en 2011. «Le moment de vérité est arrivé».
Patrick Ackermann du syndicat SUD a déclaré qu’il s’attendait à ce que « les anciens dirigeants soient reconnus coupables … qu’ils expriment des remords et qu’ils reconnaissent qu’ils ont franchi la ligne. »
Ce procès marque la première fois que des représentants d’une société de premier plan de l’indice boursier français CAC-40 sont traduits en justice pour harcèlement moral.
Traduction : MIRASTNEWS
Source : the Japan times
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