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Que penses-tu de la présence de X à l’inauguration de l’Université Denis Sassou NGUESSO ? – Paola Audrey NDENGUE

ÉDITORIAL de la Newsletter

… On parle d’une startup africaine au cœur du scandale, de cocktails ou encore d’un nouveau (?) courant musical afro… mais avant, un commentaire personnel sur une opération de communication en cours au Congo…

Un jour de février 2021, je reçois un message. Puis deux. Puis cinq. Le sujet est le même, à quelque chose près: « Que penses-tu de la présence de X à l’inauguration de l’Université Denis Sassou Nguesso ?« . 

Qui se cache derrière « X » ici ? Ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est la question. 

X ne vit pas à Brazzaville, n’a jamais démontré d’intérêt particulier pour le système éducatif (du Congo ou de son pays de résidence), ne s’intéresse pas spécialement aux questions de développement professionnel, n’a jamais dénoncé le chômage endémique qui touche les jeunes (ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs)…. Bref, sa présence à cette inauguration pour « influencer« , avait clairement l’air du cheveu sur la soupe.

Pendant plusieurs jours donc, cette personne a reçu toutes sortes d’invectives sur Instagram comme en dehors, sur le fait d’être allée – et je cite – « pointer » auprès du gouvernement congolais sans tenir compte du contexte socio-politique à Brazzaville. Je me souviens avoir trouvé que les commentaires étaient particulièrement durs envers elle… Mais c’était avant de tomber sur une vidéo où elle est entendue en train de chanter les louanges de « Son Excellence » qui a bien daigné ouvrir une université à son nom… On aurait presqu’oublié que le projet avait été financé par des fonds publics et n’émane pas de la générosité désintéressée d’un donateur privé qui serait accidentellement chef d’état. 

Et c’est ce mélange des genres en particulier qui m’interpelle à nouveau depuis quelques jours puisque, rebelote, le Congo renouvelle la formule en invitant des influenceurs de plusieurs pays africains (Nigeria, Côte d’Ivoire, Diaspora etc)… pour un événement nommé le « Sommet des 3 Bassins« . Vous ne pouvez pas y avoir échappé, c’est la campagne de RP du moment sur les internets afro francophones. 
Bravo déjà pour l’exécution: si la visibilité était le but, il est clairement atteint. La preuve, j’en parle. Pour autant, il y a quand même des éléments sur la forme comme sur le fond qu’il faudrait évoquer.

Tout d’abord, le motif/l’excuse de cette campagne. D’après le site web de l’événement: « La République du Congo, initiateur de l’alliance entre les Trois Bassins des Ecosystèmes de Biodiversité et des Forêts tropicales, accueillera à Brazzaville le Sommet Fondateur Amazonie – Congo – Bornéo Mékong Asie du Sud-Est du 26 au 28 octobre 2023« .

Bon.
Que le Congo se positionne sur des problématiques environnementales, ça peut se justifier et s’expliquer…. Mais quel est le niveau d’engagement réel du gouvernement congolais sur le sujet lorsque par exemple, la capitale – qui abrite moins de deux millions de personnes – souffre depuis des décennies de problèmes d’insalubrité et d’une urbanisation anarchique ? Peut-on user de la protection de l’environnement comme outil de soft power lorsqu’on n’est pas en mesure d’assurer des services aussi basiques que la distribution d’eau courante à 5 millions de personnes ? Et en dehors de l’intérêt réel sur ces questions, quitte à inviter des personnalités influentes sur la toile pour en parler, autant prendre des activistes africain(e)s qui sont pertinents sur le sujet… non ? Et qu’on ne me dise pas qu’il n’y en a pas, j’en ai identifié et contacté quelques un(e)s pour le compte d’une agence parisienne il y a quelques mois. 

À la place de cela donc, on a plutôt l’impression que le casting Influenceurs pour ce fameux Sommet s’est fait sur les critères d’une campagne Lifestyle/Tourisme. On a bien inclus dans le programme de planter un arbre ou deux, de visiter un cours d’eau pour la forme… mais soyons un peu sérieux, personne n’est dupe. L’ environnement et l’écologie ressemblent ici à des prétextes. Si on n’en était pas sûr en amont, la suite n’a fait que le confirmer: visite des « tours jumelles » fraîchement inaugurées, ponctuée de « Sous le haut patronage » ici et là. La subtilité n’était pas de mise quant aux véritables raisons de cette campagne de communication sur fond de « respect de la nature ». 

Tout cela m’a fait repenser à une amie communicante qui a l’habitude de travailler pour certaines ministères africains. Il y a quelques mois, elle m’appelle et me demande mon avis sur un plan de communication. Je lui réponds que la liste des influenceurs invités me paraît en décalage avec le contenu de l’événement (et la motivation réelle: mettre en avant le Ministre)… ce à quoi elle m’a rétorqué: « Je sais ! Je leur ai dit ! Mais tu connais ces gens-là, est-ce qu’ils écoutent ?« .
Est-ce donc encore le cas ici avec ce fameux sommet des 3 bassins ? Mystère et boule d’attiéké.

L’autre point, c’est le caractère quasiment inévitable de la propagande politique.
En effet, le problème avec de nombreux « petits » états tels que le Congo, le Togo, le Gabon ou encore la Guinée-Équatoriale, c’est que même en étant très prudents et sélectifs, on finit presque toujours par devoir se positionner face aux cercles du pouvoir (surtout quand celui-ci est en place depuis plus de 30 ans)… Parce que si le pays est petit, l’écosystème l’est encore plus. On aura donc beau faire, il faut à un moment ou l’autre, collaborer (pour les plus discrets), afficher allègrement son fanatisme pour le chef de l’état en espérant un quelconque bénéfice (marché public, facilités administratives, être simplement dans les bonnes grâces de X ou Y etc)… ou éviter autant que cela se peut d’avoir à la fois des problèmes ET des accointances avec des gens « du système« . Là où dans des pays plus « grands » (par la démographie et l’économie), on peut plus ou moins exister librement jusqu’à un certain niveau dans le secteur privé sans avoir à prêter allégeance au gouvernant et à sa cour… dans les pays plus petits – surtout quand un système de prédation et de captation des biens publics est institutionnalisé – l’exercice est bien plus compliqué.

C’est justement l’un des éléments de cette campagne en cours à Brazzaville: on devrait pouvoir promouvoir le Congo comme une destination touristique sans que cela ne soit de la propagande. On devrait.

C’est un beau pays, dont les forêts et les paysages ont encore – pour beaucoup – une authenticité qu’il faut préserver. Pointe-Noire et ses alentours ont un potentiel de destination balnéaire sous-régionale (si les mesures sont prises en ce sens). La gastronomie locale a de quoi faire envie. La jeunesse est créative et ne demande qu’à s’exprimer (et à être entendue surtout). Le problème n’est donc pas l’absence de potentiel touristique ou culturel du pays… mais le fait de vouloir à tout prix vendre l’action gouvernementale en même temps que l’on promeut une destination et ce, au-travers de figures populaires du web qui ne sont pas « raccord » avec le but réel de la campagne. Quand on travaille le reste de l’année dans un pays, les résultats sont visibles sans qu’on n’ait à exhiber des références au chef de l’état à tout bout de champ. On peut faire du Nation Branding sans culte de la personnalité. On se doute bien que le goudron ou le béton ne sont pas arrivés à un endroit précis du pays par l’opération du Saint-Esprit.

Depuis que les influenceurs ont commencé à poster autour de leur présence à Brazzaville, les interrogations sur leur présence ont quasiment fait autant de bruit que les commentaires positifs, si ce n’est plus (dans mon feed, du moins). C’est déjà un signe en soi, mais la question de fond est de savoir: est-ce qu’il faut être 100% irréprochable sur le plan éthique/politique pour faire une campagne de promotion de son pays à visée touristique ? Bien sûr, la réponse est non… Sinon les Émirats – qui ne sont pas particulièrement connus comme une région où la liberté d’expression est encouragée – n’aurait pas dépensé autant (comme je l’ai évoqué dans une précédente newsletter). On pourrait parler du Rwanda également, qui ces dernières années, a beaucoup investi dans sa campagne « Visit Rwanda« … en invitant des célébrités et autres personnalités internationales…. alors que Paul Kagamé s’apprête à rempiler pour un 4ème mandat consécutif et que son implication dans la crise à l’Est de la RDC ne finit pas de faire couler autant d’encre que de salive. On pourrait parler du Maroc et de la Côte d’Ivoire… deux autres nations africaines dont il pourrait y avoir beaucoup à redire sur le plan sociopolitique également, mais qui mise – entre autres – sur leur identité nationale pour attirer à la fois touristes et investisseurs. 

Soyons clairs: le pays parfait n’existe pas.
Attendre qu’un pays le soit pour communiquer sur son attractivité n’est tout simplement ni réaliste, ni juste. 

Cependant…Pour rendre une destination attractive, il n’y a rien de mieux que le contenu natif aKa celui des gens qui vivent sur place tout le reste de l’année.. Certes, il faut une impulsion de départ, mais à l’ère où nous sommes en capacité de savoir ce qui se passe n’importe où et n’importe quand, ce sont d’abord les populations locales qui sont les premiers agents de changement de la perception globale d’un pays auprès des étrangers… Il ne suffit pas de saupoudrer les difficultés avec un peu de bling bling pour qu’elles disparaissent. L’absence de créateurs de contenus congolais dans cette campagne en cours est d’ailleurs très parlante sur ce point. Or, je suis convaincue que la réception de l’opinion publique aurait été toute autre si cette campagne avait été menée de front par des influenceurs congolais à qui le Ministère du Tourisme aurait donné les budgets nécessaires pour une visibilité internationale (sans orienter de manière grossière le cahier des charges, pour que le rendu ait l’air le plus organique possible). Ou encore une amplification plus positive du hashtag #ChezMoiAuCongo.

Maintenant, concernant « the Elephant in the Room »: je connais et apprécie – pour certains personnellement – plusieurs des personnes qui ont accepté de participer à ce voyage RP/Influenceurs. Je ne dicterai jamais à quelqu’un ses convictions ou ses choix, pour la simple et bonne raison que je ne supporterai jamais qu’on me dicte les miens. Par ailleurs, nous ne disposons pas tou(te)s des mêmes filets de sécurité sur le plan financier pour pouvoir nous permettre de dire non à certaines « opportunités« , je suis disposée à l’entendre. Et enfin, comme je l’ai indiqué plus haut, même en faisant tous les efforts du monde: notre écosystème est tellement phagocyté par les politiques qu’on a très peu de marge de manoeuvre pour opérer complètement sans eux, particulièrement en Afrique francophone. 

Néanmoins, si je peux au moins émettre un conseil bienveillant, ce serait d’être sélectif quant aux « causes » ou personnalités auxquelles on s’associe. Ces choix laissent des traces indélébiles par la suite, et c’est dommage de gâcher son talent – ou une carrière/crédibilité que l’on aura mis des années à bâtir – pour un montant qui, en vérité, est en-dessous de ce que l’on devrait recevoir vu le niveau de compromission attendu. J’ai encore en mémoire les quelques influenceurs qui se sont rangés du côté de Paul Biya lors de sa 954ème campagne de réélection en 2018 au Cameroun pour trois fois rien. On ne peut pas dire que ça leur aura particulièrement servi par la suite niveau carrière. Ils auraient LARGEMENT pu s’en passer et évoluer tout de même.

Par ailleurs, si l’on aime véritablement un pays, on peut trouver bien d’autres moyens de le mettre en avant que de devoir le faire en participant à une opération de propagande qui sert d’abord l’image d’un leader controversé (vous noterez l’euphémisme) et d’un régime qu’une écrasante partie de la jeunesse congolaise est fatiguée de subir.
Les communicants qui mettent ces campagnes en place sont dans leurs rôles. Leur client qui paie – probablement aux frais du contribuable congolais – est dans son rôle aussi. L’un comme l’autre ont de quoi continuer confortablement leurs besognes respectives et se passer des avis des citoyens.
Les influenceurs par contre, n’ont pas ce luxe-là. Ils sont le menu fretin, les saltimbanques à qui l’on jette quelques miettes – parce que bien sûr, ceux qui reçoivent le gros de l’argent sont ceux qui coordonnent le voyage – pour crier « Vive Le Roi ! ».

On espère que ça en vaut vraiment la peine.

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